30 novembre 2025
E.Rials, rédacteur
De Benjamin Biolay à Clara Luciani, les salles pleines chantent en français

En ce dernier week-end de novembre, Benjamin Biolay, Julien Doré, Clara Luciani, Calogero et Thomas Dutronc remplissent théâtres et Zéniths aux quatre coins du pays. En suivant leurs pas de Paris à Nice, je vois se dessiner un pays très attaché à sa langue, à ses villes, loin des bluettes formatées de la mondialisation musicale.
Je sors du Théâtre Marigny un soir de novembre. Dans le froid qui pique, les spectateurs commentent à mi-voix le concert acoustique de Benjamin Biolay : « On aurait dit un salon privé », souffle une dame en ajustant son manteau. Sur scène, Biolay vient d’ouvrir une série de soirées en toute intimité pour présenter Le Disque Bleu, son onzième album, lors d’une résidence du 30 novembre au 2 décembre au Marigny, dans une formule dépouillée annoncée par la salle comme une tournée acoustique pour faire découvrir ce nouveau répertoire. Billetterie du Théâtre Marigny (billetterie.theatremarigny.fr)
En amont, la critique n’a pas ménagé ses louanges : plusieurs médias spécialisés voient dans Le Disque Bleu un sommet de sa discographie, un disque ample, entre bossa nova, cordes feutrées et portraits désabusés de la France contemporaine. Des critiques détaillées, de Break Musical à des blogs culturels comme Mes Critiques ou L’Essentiart, soulignent la générosité de l’album (24 titres) et cette manière de rester très français tout en dialoguant avec l’héritage de Gainsbourg. (break-musical.fr) Dans un paysage où l’anglais domine les plateformes, Biolay persiste à ciseler des textes complexes, parfois rugueux, qui parlent d’amour, de temps qui passe, mais aussi d’un pays qui doute – ce “pays réel” dont on entend rarement la voix dans les playlists globalisées.
Pendant que Paris s’offre ce luxe d’une chanson sophistiquée en version salon, Bordeaux vit une autre scène. À l’Arkéa Arena, Julien Doré vient de boucler une date supplémentaire, ajoutée tant la demande de billets était forte pour le 28 novembre 2025. L’Arkéa rappelle que le chanteur revient après un aimée tour qui a déjà rassemblé plus de 600 000 spectateurs, et qu’il signe “son grand retour sur scène avec un tout nouveau spectacle” dans les Zéniths et Arenas de France, Belgique et Suisse. Arkéa Arena – Julien Doré en concert (Arkéa Arena)
Ce qui me frappe, c’est la sociologie de ces soirs-là. On y croise la France des familles, des couples venus de la périphérie, parfois après une heure de route. Une France qui n’a pas forcément les moyens de s’offrir chaque année un city-break à Londres, mais qui tient à “son” chanteur français, celui qui raconte des histoires de séparation, d’enfance, de trajectoires modestes. Dans la mise en scène foisonnante de Doré, on pourrait craindre le barnum pour barnum, mais la colonne vertébrale reste une chose très simple : un homme, une langue, une mélodie accessible, qui fédère plutôt qu’elle ne fragmente.
Plus au sud, à Nice, c’est une autre voix qui résonne. Clara Luciani, troisième album Mon sang en bandoulière, investit le Palais Nikaïa le 27 novembre, dans une tournée qui serpente tout le territoire jusqu’en 2026. L’Office de tourisme de Nice Côte d’Azur comme la Ville de La Trinité mettent en avant cette date azuréenne, rappelant le parcours fulgurant de l’artiste, ses succès avec Sainte-Victoire et Cœur, et ce nouveau cycle plus intime. Clara Luciani – Palais Nikaïa, Nice(nikaia.fr)
Dans la presse musicale, plusieurs articles récents se demandent déjà si un “après Mon sang” se prépare, tant l’album a trouvé son public et installé Luciani comme une figure centrale de la pop francophone actuelle. (Allzic Radio) Je regarde cette trajectoire avec un certain soulagement : dans un pays où l’on explique volontiers aux jeunes femmes qu’elles doivent s’effacer dans des formats standardisés, voir une auteure-compositrice imposer ses textes denses, ses basses à la fois dansantes et mélancoliques, c’est une bonne nouvelle pour la chanson française – et, oserai-je dire, pour la culture française tout court.
Pendant ce temps, dans l’Allier, Calogero trace une autre carte de France. Son Tour des Théâtres fait escale à l’Opéra de Vichy les 25 et 26 novembre 2025, deux soirées complètes selon les billetteries locales et les sites de concerts. Calogero – Le Tour des Théâtres à Vichy (Opéra de Vichy) La tournée, annoncée dès 2024 comme un marathon de près de 150 dates en France, Belgique, Suisse et Luxembourg, assume ce retour aux théâtres à taille humaine, loin de la froideur des arénas internationales.
Je vois dans cette géographie un geste presque politique – au sens noble du terme. C’est la France des villes moyennes, des places de casino, des opéras de province, qui continue à être irriguée par une grande figure de la chanson populaire. Là où d’autres artistes se contentent d’un Accor Arena et de quelques festivals, Calogero accepte la fatigue des trajets, l’intimité des théâtres, la rencontre avec ce public qui vit souvent loin des métropoles tentaculaires. Dans un pays qui se fracture entre centres et périphéries, on ne délègue pas l’âme musicale du pays à un algorithme, on la porte physiquement de ville en ville.
Et puis il y a Thomas Dutronc, qui arrive à Paris avec un sourire un peu en coin et un album au titre programmatique : Il n’est jamais trop tard. L’Officiel des spectacles consacre ces jours-ci un article à ses concerts “En liberté” aux Folies Bergère, programmés du 11 au 13 décembre 2025, un an après la sortie de ce disque très bien accueilli par la critique. Thomas Dutronc aux Folies Bergère : En liberté (L'Officiel des Spectacles)
Les Folies, avec leurs angelots dorés et leurs volutes Belle Époque, sont presque une métaphore de ce moment de la chanson française. On pourrait les réduire à un décor de carte postale, comme on réduit parfois la chanson à un patrimoine figé. Or Dutronc, lui, vient y jouer des titres neufs, souvent très personnels, dans une veine plus chanson que jazz manouche. Héritier assumé d’une lignée familiale qui a chanté Paris, les routes et les amours cabossées, il choisit pourtant de s’affirmer à sa manière : des textes qui parlent du temps, de la fidélité, du besoin de retrouver un horizon commun. À quelques semaines de Noël, ces soirées aux Folies ont presque des allures de veillée, au sens chrétien et culturel du terme : on se rassemble, on écoute, on se souvient qu’on forme un tout autour de mélodies.
De Biolay en résidence parisienne à Clara Luciani sur la Côte d’Azur, de Doré en Zéniths survoltés à Calogero dans les théâtres et Dutronc sous les dorures des Folies, je vois ce pays qui, malgré ses colères et ses fractures, continue de se reconnaître dans sa langue, dans ses salles, dans ses refrains, et à cette liberté très particulière qui consiste à rester soi-même, en langue française, même lorsque tout le reste pousse à l’uniformisation.
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